Être à Soi
Ce projet s’est imposé en 2022 comme une évidence à un moment de ma vie où j’ai sentie l’urgence d’obtenir une absolue disponibilité à moi-même. L’enjeu était ici celui d’une ouverture, d’une redécouverte totale comme possibilité de retrouvailles. Je décide de me regarder intensément, de plonger dans l’énigme de mon visage, de mon corps pour comprendre un peu plus qui est sous le masque et faire le chemin vers mon être au delà des apparences. Je tourne l’objectif vers moi pour parler autant de ma fragilité que de ma résilience. A la prise de vue je me mets dans un état second proche de la méditation pour convoquer des émotions et des sentiments enfouis liés à ma part féminine. Du plus profond de mon être, je construis cette série comme un véritable rituel en prenant le temps de me laisser imprégner, de multiplier les expériences pour que mes autoportraits révèlent mon essence tout en faisant écho à mes états émotionnels. Le choix formel que j’ai mis au point y contribue. L’effet protection-révélation de l’application d’une feuille de thé infusée ainsi que la symbolique de l'or de la tradition japonaise du Kintsugi agissent comme une ré-appropriation de mon être entre le palpable et l’impalpable. J’envisage ce travail comme une forme de résilience afin de reconstruire ce qui était auparavant morcelé et de rassembler les fragments d’histoires enfouis. C’est un moyen de réactiver ce qui m’avait été enlevé, ce qui s’est perdu.Cette expérimentation « Être à Soi » me permet de mettre à jour mon identité originelle et d’exprimer ma vérité la plus intime. Je défie le médium qui devient matière organique et psychique pour m’émanciper du regard de l’autre et être à moi. Je considère ce projet comme politique. Dans toute l'histoire de l'art, qu'elle traverse les siècles de peinture, sculpture, dessin, photographie (...), le corps de la femme a été représentée exclusivement par des hommes. Le faite de tourner la camera vers moi, une femme de 50 ans, est un moyen d'à nouveau exister à mes yeux et de m'affranchir des dictats de la société.


Originaux 9,5x14,5 cm


Original 9,5x14,5 cm


Originaux 9,5x14,5 cm


Originaux 9,5x14,5 cm


Originaux 9,5x14,5 cm


Originaux 9,5x14,5 cm


Originaux 9,5x14,5 cm


Format 47,5x56,5 cm


Format 47,5x56,5 cm


Format 47,5x56,5 cm


Format 60x80 cm et 30x40 cm
Gaëlle Abravanel parvient avec Être à Soi à se réapproprier
son corps.
Styliste de mode, directrice artistique, galeriste, photographe
plasticienne… Gaëlle Abravanel a vécu plusieurs vies en une.
Passionnée par le 8e art depuis de lycée, elle y consacre
exclusivement son temps depuis un an, voyant dans la discipline
un moyen d’expression libre, permettant de nombreuses
expérimentations.
« Je n’ai jamais été quelqu’un qui vénérait la pureté de
l’argentique. Je suis de celle qui apprécie le dialogue entre
les médiums lorsqu’un sujet s’y prête », précise-t-elle.
C’est en redécouvrant une ancienne série réalisée il y a une dizaine d’années et consacrée à ses enfants que l’artiste débute Être à Soi. « Sa particularité venait du support utilisé, du fait qu’il s’agissait
de reprises de photos, de plans très serrés d’images déjà produites.Il s’en dégageait une sensation fantomatique, comme lorsqu’on
interroge ses souvenirs », précise t-elle.
Corps en gros plans, silhouettes sculpturales, décomposées jusqu’àl’abstraction, monochrome pâle évoquant la chair et unifiant chaquedétail dans un puzzle organique…Minimaliste et poétique, Être à Soi est cette fois-ci dédiée à
l’autoportrait. Une manière pour l’autrice de se dévoiler tout
en plaçant l’esthétisme au cœur de l’introspection.
« Il arrive dans la vie d’une femme d’être contrainte de faire une
pause, de prendre du recul pour savoir comment vivre les
prochaines années. Les enfants deviennent adultes, votre vie sentimentale ne vous satisfait pas, votre vie
professionnelle n’est plus en accord avec vos aspirations… J’ai dû puiser dans mes dernières ressources pour
sortir de cette impasse », confie Gaëlle Abravanel.
Débute alors une collection d’images à l’intimité poignante.
Des clichés montrant un instant d’extase, une osmose spirituelle, une exaltation intense – celle de renouer enfin avec
soi-même.
À ces représentations s’ajoute l’utilisation de feuilles dorées et de
thé infusé, donnant aux tirages un caractère précieux et une
nuance chaude.
« Rien n’aurait été possible sans ce choix de procédé. La sensualité tactile que je donne à voir fait référence à la peau,
mais aussi à quelque chose de plus psychologique que cette
texture particulière évoque: la fragilité et la force »,
ajoute la photographe.
Influencée par le concept japonais du Wabi-Sabi – le fait
d’accepter et d’être ému·e par l’ordinaire et l’imperfection – ainsi
que par l’art du Kintsugi, qui consiste à réparer la porcelaine
ou céramique cassée à l’aide d’une laque saupoudrée d’or,
l’artiste fait d’Être à Soi une ode à la beauté atypique.
À travers des cadrages serrés, elle donne à voir ses formes,
sa nudité, avec une sincérité frappante et transforme les courbes
des figures harmonieuses et universelles.
Un ensemble apaisant répondant à sa volonté de souligner
« la quête d’équilibre, l’endurance et l’authenticité », tout en
explorant la notion de mémoire du corps.
Celle qui s’ancre dans nos membres et fige des instants
de douleurs, de peurs, de souffrances. Mais aussi celle qui fait
fleurir les émotions les plus pures et marque au fer blanc
la réappropriation d’un·e être se perdant dans un monde déroutant.
« La société ne cesse de produire des binarismes. Être entière, pourmoi, revient justement à casser les codes. Cette quête d’être
au plus proche de soi passe par le fait de ne jamais oublier d’être à soi avant tout. La résilience se situe en son centre », conclut
Gaëlle Abravanel.
Article de Lou Tsatsas pour Fisheye - novembre 2022